Je viens à toi
cerné de noir, accroupissant la tige des tulipes
Et je me courbe,
lentement moi aussi
Pour n'être plus sous tes pieds qu'un petit jour de printemps. Une
saison écrasée.
« C'était une
erreur de jeunesse » m'a-t-elle
dit, reniant en quelques mots l'enfant à peine né dont elle ne
voulait déjà plus. C'était une erreur de jeunesse... Alors, elle
est partie.
Jamais, aucun être ne fut plus atrocement honnête avec moi, plus
effroyablement humain, que la femme qui détruisit nos vies.
Souvent, on se
figure mal à quel point les peaux mortes pèsent sur l'ensemble du
corps.
Je m'en suis rendu compte
un matin de mai. C'était un matin fait des crachats de la veille, un
de ces matins où le sang monte à la tête. Évidence des blessures.
J'avais dormi sur un banc
près d'un immeuble quelconque ; à l'endroit où l'odeur répond au
silence, à l'endroit où les relents de pisse se mêlent des rêves
profonds.
Seulement, je ne rêve
plus.
Je passe mes nuits à
caresser ton ventre rond, à l'embrasser, puis à baver du sang. Je
ne rêve plus.
Et les petits matins
naissent à la chaîne.
Chaque soir je
ruminais ma haine primordiale, mon innocence gâchée, mon amour
trahi. Nuit après nuit je naissais autrement, hérésie humaine,
nain par choix.
Avec les jours la
colère avait enflé, bourrant les calendriers de croix noires et
chacun de mes muscles d'une volonté animale.
Non, l'instinct maternel
n'existe pas. Certaines illusions feraient mieux de se perpétuer
dans du Sopalin.
Un
jour, tu as rempli ton ventre, mon cœur et mes veines, de ce rêve
dont je t'ai toujours parlé. Ce fut un jour triste, car d'une
certaine manière c'est là, et dans mes yeux, que tu as commencé à
repeindre en noir la chambre de tous les enfants.
Lorsque
tu as abandonné le nôtre, j'ai cessé de croire en dieu ; en cette
vision antalgique des choses.
Grâce
à toi, j'ai découvert que mon amour n'était bon qu'à nourrir la
poubelle à verre
À
l'occasion, quelques feuilles vierges et l'appétit intérieur des
filles à problèmes.
À l'époque, je
suivais un régime strict : je mangeais gras et buvais beaucoup
d'alcool. Je passais mon temps à combler le vide. Et combler le vide
par le vide, ça prend du temps.
Du coup, les journées
étaient longues, je dormais peu.
Pourtant, je vivais avec
la douloureuse sensation que la nuit continuait à s'étendre
En moi malgré l'aurore
Qu'elle s'étirait à
balles réelles de mon lobe frontal à mon gros intestin.
Alors, je soulageais la
douleur sur les trottoirs ; parce qu'ici l'impression de jour domine.
Parce qu'ici les ruelles
comme les hommes, aussi sombres soient-ils, gardent toujours derrière
les cils l'impasse et la flaque ; l'eau et l'image du monde tel qu'il
est dedans. Parfois, on y devine le soleil.
Les flaques ont ça
de tragique : elles partagent le ciel avec des hommes à l'échine
courbe.
Et le ciel crie.
Et c'est dur de
comprendre que les étoiles sont de simples foutaises.
J'ai rencontré
Marie à la jonction d'une étoile et d'un frisson : Toute petite
électrocution de l'âme.
Comment s'expliquer que
le mélange des astres sous la peau puisse engendrer le désastre, le
bas de gamme de l'existence ?
Quelle est la raison
supérieure qui pousse un être à abandonner sa propre chair ?
Je n'ai pas de
réponses... Et de toute façon, je n'ai pas envie de réfléchir.
Les miroirs s'en
chargent.
Elle avait le visage
de toutes les mères qui abandonnent leur premier enfant. C'était un
visage un peu beau, l'image de presque un ange. Moi, j'avais les
vingt centimètres parfaits pour dans sa bouche
Et j'avais oublié aussi,
un peu, d'être un ange.
Il n'y avait pas encore
d'amour, entre nous je veux dire. Alors, j'ai baisé ses lèvres.
Simplement comme un chien
baise des lèvres.
Tout entier pris
dans sa nasse, je me suis soumis aux spasmes ; aux réflexes maladifs
d'un corps se vidant. Privé d’oxygène je me suis accroché à sa
main. Comme le bon chien s'accroche à la main qui le tape.
Ensuite, je suis mort.
Simili mer débordant
des carafes, ici le sang bâtard gorge la peau
Déchire le visage
Coule sur mes joues comme
tes prunelles autrefois.
Tu
sais, j'ai longtemps cru que tu t'appelais Brillante...
Elle est perdue, l'innocence. La
saison chérie où les rêves n'étaient pas encore de la viande à
pneu ; où mes yeux ne tenaient pas tout entier dans la paume de ta
main.
Ici,
l'horizon a oublié sa couleur d'origine. Il déambule au bout des
routes, comme égaré devant mes cils, ne dessinant à l'infini que
des lignes qui se croisent.
Alors je bois. Seul ou
accompagné. Je bois.
Entre
deux bières je me goinfre de sourires et de grougnettes,
j'éponge l'alcool avec des chips et des noix de cajou.
Je me nourris des éclats
de cœurs qui remplissent les bols vides
Les mies de pain de
tapenade
D'amour
Et de pesticides
agricoles.
Les verres se
vident, se posent et se remplissent sur la table. Encore et
encore.Translucides et puis noirs.Translucides et puis noirs.
Translucides et puis noirs dans le cœur. Comme un incessant
va-et-vient de corbeaux
Dans mon salon
Sur
ma petite nappe en fleur.
De
zon gaat onder. Le soleil se couche.
Voici ton ventre.
C'est ici que s'écrivent les grandes guerres.
C'est ici que naquirent
les scories pour toi, notre enfant et les plus beaux jours qu'il me
reste.
Je veux que tu clignes
des yeux en lisant ceci !
Je veux que naissent en
toi les nausées que tu n'as peut-être jamais eues.
Je
veux t’écœurer de l'encre, comme tu m'as écœuré de la mer
!
Depuis toi, je suis
atteint de ces maladies que les oiseaux n'ont pas.
Je suis atteint de la
hargne, je suis atteint du clou
Je suis étreint de tout
Je suis éteint.
Allez lui dire que
je ne veux plus mourir ! Qu'un pan dévasté de ma vie, n'est pas ma
vie entière.
Allez lui dire que...
Non, j'irai moi-même !
Et je viendrai à elle
cerné d'espoir, portant mon fils entre les bras
La lumière
Serrée fort contre mon
ventre
Jusqu'à l'y faire
rentrer.